La question de la substitution entre avocats

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L’intérêt de la présente fiche est né d’un récent évènement relaté sur les réseaux sociaux par un Confrère confronté à un refus d’un juge des libertés et de la détention de laisser son Associée plaider dans l’intérêt d’un mis en examen à l’occasion de la prolongation de sa détention provisoire.

 Le JLD a prolongé la détention provisoire du mis en examen et le Confrère concerné a naturellement interjeté appel. A l’audience devant la Chambre de l’instruction, le Parquet Général aurait indiqué que la substitution entre avocats était une tolérance à laquelle il avait été décidé de mettre fin.

La Chambre de l’Instruction a ordonné la remise en liberté immédiate du mis en examen considérant que le refus du Juge des libertés et de la détention de laisser l’associée de l’Avocat constitué formuler ses observations contrevenait aux droits de la défense et au principe du contradictoire. La Chambre de l’instruction estimait ainsi que les dispositions de l’article 145 du Code de procédure pénale n’avaient pas été satisfaites.

 

Délicat est le problème de la substitution à l'audience, lorsque l'avocat choisi par le client se fait remplacer par un associé ou un collaborateur ou même plus généralement un confrère qui lui rend ce service (rémunéré ou non).

 Le procédé ne peut être condamné : ce serait méconnaître les contraintes qui s'attachent à la tenue simultanée de multiples audiences auxquelles l’avocat ne peut se rendre en même temps, ainsi que l'impossibilité d'obtenir toutes les remises que l'on réclame ; généralement d'ailleurs l'avocat a pris soin de monter lui-même le dossier qui sera remis au tribunal ou de l'expliquer à son substitut, et il ne recourt à ce remplacement que pour les dossiers qui peuvent s'en accommoder.

 Il y a lieu de relever qu’aucun texte ne prévoit expressément la possibilité de la substitution entre avocats … et qu’aucun ne l’interdit.

L’analyse de la jurisprudence nous permet tout de même de constater que le procédé est admis dans la plupart des procédures.

 Certaines situations méritent toutefois une attention bien particulière.

 1. LA SUBSTITUTION AU SEIN D’UNE SELARL

 CA Aix – Pôle 01 ch. 03, 19 sept. 2019, n°2019/338 :

 « L'exercice de la profession d'avocat, notamment au sein d'une SELARL, permet la substitution d'un avocat par son collaborateur ou associé, l'accord préalable du client n'étant pas obligatoire. »[1]

 Lorsqu'un avocat est membre d'une structure disposant d'associés ou de collaborateurs auxquels il est régulièrement uni par contrat, on admet qu'il puisse, sans aviser le client, se faire remplacer par l'un des membres du cabinet, le client étant présumé avoir admis, en s'adressant à une telle structure, qu'il s'exposait à ce que l'affaire soit plaidée, soit par celui avec qui il a été personnellement en contact, soit par l'un de ses associés ou collaborateurs.

 Attention, l’avocat désigné demeure personnellement responsable des négligences et fautes de son substitut[2].

 Focus sur la représentation à l’audience pénale :

Le pouvoir fait au nom d'un avocat ne peut être utilisé par un autre que s'il est établi par la procuration ou par le procès-verbal du greffier que les deux avocats appartiennent à la même société civile professionnelle.

2. LE DIVORCE PAR CONSENTEMENT MUTUEL EXTRA-JUDICIAIRE

La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle a créé le divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire (articles 229-1 à 229-4 du Code Civil).

 Ce « nouveau » divorce par consentement mutuel extra-judiciaire consiste en la rédaction d’une Convention de divorce par consentement mutuel par les avocats.

 D’aucuns ont pu s’interroger sur la possibilité de se faire substituer à la signature de la Convention de divorce par consentement mutuel par un Confrère (collaborateur ou associé) en cas d’indisponibilité à la date prévue du rendez-vous de signature. Il arrive en effet que la signature doive avoir lieu à une date précise dans l’intérêt du dossier et des clients.

Le RIN prévoit expressément en son article 7.2 l’impossibilité de se faire substituer lors de la signature de la convention de divorce par consentement mutuel, et plus généralement, s’agissant de tout acte sous signature privée contresigné par avocat :

 « L’acte sous signature privée contresigné par avocat est signé par l’avocat ou les avocats rédacteurs désigné́(s) à l’acte.

La convention de divorce par consentement mutuel établie par acte sous signature privée conformément aux dispositions de l’article 229-3 du Code civil est signée, en présence physique et simultanément, par les parties et les avocats rédacteurs désignés à la convention sans substitution ni délégation possible ».

3. LE POURVOI EN CASSATION :

En matière pénale :

La déclaration de pourvoi n'est pas valable lorsqu'elle émane :

 -        D'un avocat postulant qui déclare tenir son mandat de l'avocat du prévenu[3]

-        D'un avocat qui déclare se substituer en sa qualité de collaborateur à l'avocat auquel a été remis un pouvoir spécial[4]

-        D’un avocat qui, n'appartenant pas à la même société civile professionnelle, mais seulement à une société civile de moyens, remplace l'avocat ayant reçu le pouvoir spécial[5]

 Même dans le cas où la substitution a été expressément prévue par le pouvoir spécial établi par le demandeur au pourvoi[6]

 D'autant plus lorsque les deux avocats sont du même barreau mais qu'il n'apparaît pas qu'ils appartiennent à la même société civile professionnelle[7]

 Toutefois, il existe des solutions contraires : Recevabilité du pourvoi formé par un avocat substituant l'un de ses confrères (Solution implicite). [8]

 Il se déduit de l'art. 576, al. 2, que tout avocat inscrit à l'un des barreaux d'une cour d'appel a qualité pour former un pourvoi en cassation dans l'ensemble du ressort de cette cour.[9]

 Ces solutions qui méconnaissent la volonté du demandeur au pourvoi peut être critiquée au regard de la jurisprudence rendue par le juge civil.

 En matière civile :

Le juge civil a consacré la solution inverse à celle rendue par la chambre criminelle dans les procédures sans représentation obligatoire alors même que l'article 984 du Code de procédure civile exige lui aussi que le mandataire soit muni d'un pouvoir spécial[10].

 Le pouvoir doit être établi au nom du déclarant, c'est-à-dire du mandataire qui accomplira la déclaration de pourvoi. À cet égard, il faut prendre garde au fait que le pouvoir établi au nom d'un avocat à la Cour ne peut être utilisé par l'un de ses confrères que dans trois cas :

 -        Celui où le déclarant est muni d'une substitution régulière émanant du mandataire désigné par le pouvoir[11], substitution que le mandant peut éviter en désignant deux mandataires habilités à agir « l'un ou l'autre indifféremment »[12] ;

-        Le cas où le déclarant est membre de la même société civile professionnelle que le mandataire désigné[13];

-        Celui où le déclarant a la qualité de collaborateur du mandataire[14], le patron inversement pouvant signer le mémoire ampliatif si le pouvoir a été établi au nom de son collaborateur [15] .

 Mais la chambre sociale, plus exigeante que la troisième chambre civile, déclare irrecevable le pourvoi formé par le collaborateur[16].

 Elle semble même être hostile au fait que deux associés d'une même société civile professionnelle (SCP) puissent se substituer[17], alors pourtant que la société civile professionnelle est inscrite au barreau et a la qualité d'avocat (HAMELIN et DAMIEN, Les règles de la profession d'avocat, 2000, Dalloz, no 24).

 La chambre sociale a eu l'occasion de rappeler qu'aucun mandataire n'était dispensé de pouvoir, qu'il fût avocat [18], ou délégué syndical[19]. Mais l'avocat à la Cour de cassation qui introduit le recours dans une affaire dispensée de son ministère en utilisant la faculté admise par l'article 995 du code de procédure civile n'a pas à produire un pouvoir spécial puisqu'il emprunte les formes de la procédure avec représentation obligatoire[20].

 Cette exception limitée est la seule. Les rapports de parenté ou d'alliance ne peuvent exclure la nécessité du pouvoir spécial ; celui-ci est nécessaire entre époux pour former un recours au nom du conjoint[21] ou entre co-indivisaires, si l'un d'eux entend former un pourvoi au nom de tous contre une décision qui leur fait grief collectivement[22].

 Une jurisprudence critiquable juge que le représentant d'une personne morale, titulaire d'une délégation de pouvoir du représentant légal ou statutaire, ne peut pas déposer un pourvoi sans mandat spécial[23]. Pourtant, il est alors investi des mêmes pouvoirs que le représentant légal ou statutaire qui n'a pas, lui, à produire un mandat spécial.

 On ne voit donc pas pourquoi la Cour de cassation lui impose de produire un tel mandat et paralyse ainsi la délégation de pouvoir qui lui a été légalement accordée. Cela rend la gestion de certaines grandes sociétés particulièrement difficile.

 CONCLUSION :

L’histoire de notre confrère, qui se termine bien, met la lumière sur une pratique répandue de notre profession mais peu encadrée.

 Le 13 novembre 2020, le Conseil National des Barreaux a validé un amendement à porter auprès des pouvoirs publics pour que la substitution soit expressément autorisée et pallier ainsi les refus.


Affaire à suivre donc …

[0] Soc. 26 févr. 1966, Bull. civ. IV, no 114. – Soc. 7 oct. 1987, Bull. civ. V, no 527

[1] Soc. 4 janv. 2000, no 97-43.052 , Bull. civ. V, no 8.

[2] Civ. 3e, 22 nov. 1983, Bull. civ. III, no 234. – Soc. 15 déc. 1983, Bull. civ. V, no 625

[3] Civ. 2e, 28 juin 1963, Bull. civ. II, no 480

[4] Soc. 6 nov. 1985, Bull. civ. V, no 502

[5] Civ. 3e, 22 nov. 1983, Bull. civ. III, no 233

[6] Civ. 3e, 22 nov. 1983, Bull. civ. III, no 232

[7] Soc. 16 mai 1990, no 87-17.555 , Bull. civ. V, no 222. – Soc. 10 nov. 1993, no 89-45.646 , Bull. civ. V, no 260

[8] Soc. 16 déc. 1987, Bull. civ. V, no 729

[9] Civ. 2e, 1er avr. 1981, Bull. civ. II, no 79

[10] Civ. 2e, 7 mars 1990, no 89-61.473 , Bull. civ. II, no 55

[11] Civ. 1re, 4 févr. 1986, Bull. civ. I, no 3

[12] Civ. 2e, 19 juin 1968, Bull. civ. II, no 178

[13] Cass., ch. expr., 21 oct. 1966, Bull. civ. V, no 100

[1] Crim. 25 nov. 1997, no 97-82.082

[2] Crim. 2 oct. 1986: D. 1987. Somm. 77, obs. Pradel , ● 20 juin 1995, no 93-80.821 P ● 5 juin 1997, no 96-83.302 P

[3] Crim. 13 mai 1996, no 95-83.460 P

[4] Crim. 23 mai 1995, no 94-82.502 P

[5] Crim. 24 janv. 2001: Dr. pénal 2001. Comm. 121, obs. Maron ● 3 mars 2004: Dr. pénal 2004. Comm. 136, obs. Maron.

[6] Crim. 29 nov. 2017, no 16-85.490 P.

[7] Crim. 11 avr. 2018, no 16-87.622 P: Dr. pénal 2018, no 114, obs. Maron et Haas

[1] Cour d'appel d'Aix - Pôle 01 ch. 03 - 19 septembre 2019 - n° 2019/338

[2] Civ. 1re, 11 juill. 1983, Bull. civ. I, no 202 ; Gaz. Pal. 1984. 1. 152, note Damien. – Nantes, 20 déc. 1977, D. 1978. IR 302. – Bordeaux, 11 mars 1983, 2 arrêts, Gaz. Pal. 1983. 2. 384, note Damien

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